Matière organique du sol et développement du palmier à huile sous différents modes de gestion des feuilles d'élagage. Cas des palmeraies villageoises du département du Plateau au Bénin
Thèse soutenue le 16 décembre 2013 à Université d'Abomey-Calavi, Bénin
Document de thèse
La culture du palmier à huile en milieu villageois prend de plus en plus d'ampleur dans les zones tropicales où elle contribue pour une part importante à l'économie des pays. Au Bénin, les palmeraies villageoises sont en forte expansion dans un climat particulier caractérisé par des déficits hydriques annuels élevés. Les caractéristiques assez particulières de ces palmeraies villageoises, comme l'association des cultures vivrières dans les jeunes palmeraies, l'absence de fertilisation minérale durant tout le cycle de culture et l'exportation de tout ou partie de la biomasse recyclable, nous interrogent sur la durabilité du système de production. L'étude a été conduite dans le département du Plateau au sud-est du Bénin (2°30 - 2°45 E et 6°35 - 7°45 N).
Une première étape de diagnostic de typologie des palmeraies a permis de constater que les palemraies villageoises appartiennent majoritairement à des petits producteurs dont les faibles moyens financiers ne permettent pas de planter de grandes superficies, ni d'appliquer une fertilisation minérale aux palmiers. Les antécédents culturaux sont pour la plupart des champs de cultures vivrières. Au jeune âge, les palmeraies sont associées à des cultures vivrières très variées. Les pratiques de restitution des sous produits de transformation, limités à quelques grands producteurs et les modes de gestion des feuilles d'élagage, distinguent les palmeraies villageoises. La gestion des feuilles d'élagage commence à 7 ans d'âge des palmeraies et va d'une restitution quasi-totale en andain à une restitution nulle de ces feuilles au sol. Dans ce contexte, le mode de gestion des feuilles d'élagage dans les palmeraies villageoises peut induire des effets différents sur le système sol-plante ; et son impact agronomique et environnemental mérite d'être investigué.
A cet effet, la typologie des palmeraies a orienté le choix d'une chronoséquence de palmeraies représentant les deux modes contrastés de gestion des feuilles d'élagage : la restitution totale en andain (RT) et la restitution nulle (RN). Cette chronoséquence a servi aux études comparatives de l'effet de ces modes sur les compartiments sol et plante du système de production. Dans le compartiment sol, les stocks de matière organique, les paramètres physico-chimiques, l'activité microbienne et le statut de la matière organique ont été étudiés. Les études au niveau de la plante ont concerné dans un premier temps les paramètres de développement (densité, longueur et surface) des racines primaires, secondaires et fines. Et dans un second temps, les biomasses et minéralo-masses aériennes de la plante. Les études de biomasse aérienne ont nécessité la mise au point de méthodes non destructrices basées sur des équations allométriques d'estimations des biomasses de la feuille et du tronc.
Sur le plan agronomique, un effet significatif du recyclage des feuilles a été observé sur les paramètres de fertilité du sol après 10 ans de restitution des feuilles. Les stocks de matière organique et d'azote sur 0-50 cm ont augmenté respectivement de 70% et 50% sous les andains par rapport aux interlignes sans feuilles. De façon étonnante, la restitution nulle des feuilles n'a pas induit une baisse du stock de matière organique au cours du temps. L'augmentation des stocks de carbone et d'azote après 10 ans de restitution des feuilles n'a amélioré les paramètres du sol que sur les 20 premiers centimètres. Le sol s'est enrichi en matière organique (20gC.kg-1) et en azote (1,5gN.kg-1). La somme des cations échangeables et la CEC ont atteint des valeurs moyennes (7meq.100g-1) deux fois plus élevées que dans les situations de restitution nulle des feuilles. Les teneurs en calcium et en magnésium ont augmenté, contrairement aux teneurs en potassium dont les valeurs sont restées très faibles. Le pH a augmenté de 0,5 unité et le sol est passé de l'état acide à faiblement acide. Le recyclage des feuilles a induit une intensification de l'activité microbienne qui a modifié la qualité de la matière organique du sol. Les teneurs en carbone des fractions fines organiques (< 20μm) ont augmenté de 40% à 0-5 cm et de 15% à 20-30 cm, par rapport à la restitution nulle des feuilles.
Ces effets positifs du recyclage ont évidemment profité au développement racinaire des palmiers. Les densités et longueurs des racines secondaires et fines ont augmenté dans les 20 premiers centimètres du sol. Les racines fines ont été les plus sensibles au recyclage des feuilles. Leur densité, a triplé par rapport au mode de restitution nulle ; et leur longueur spécifique a baissé, confirmant l'enrichissement du milieu sous andain. Le recyclage des feuilles a créé une couche de litière au-dessus du sol sous andain, où s'est développé un amas important de racines fines et secondaires de densité de 2 kg.m-3 et 0,13 kg.m-3. Malgré ces effets sur le sol et le système racinaire, la gestion des feuilles n'a pas eu d'effet siginifcatif sur les biomasses aériennes ni sur l'état nutritionnel des palmiers. Seule la biomasse du tronc a augmenté significativement sous le mode de restitution totale des feuilles. Les palmeraies ont montré de faibles performances de production et sont déficientes en éléments minéraux. Les productions de régimes (6 t.ha-1 dans les palmeraies adultes), et les teneurs des principaux éléments minéraux N (< 2%), et K (< 0,5%) sont en-deçà de l'optimal reconnu pour une palmeraie.
Sur le plan environnemental, et en fonction des modes de gestion, des feuilles d'élagage, le sol des palmeraies a été évalué en tant que "puits potentiel de carbone" : stockage de carbone dans le sol sur 0-50 cm sous les andains de feuilles et biomasse totale des andains au sol. Les études ont également montré le rôle de stockage de carbone assuré par le palmier à travers la biomasse des feuilles, du tronc et des racines. Une biomasse totale estimée à 88 tonnes de matière sèche à l'hectare. Ces performances sont supérieures à celles d'autres agro-systèmes d'utilisation des terres et de changement d'affection des terres forestières. Mais elles sont inférieures aux performances des systèmes forestiers. Au vu de leurs caractéristiques agronomiques, les palmeraies villageoises laissent peu de perspective à une amélioration de leurs performances sur le long terme. Faute d'apport significatif en N et K l'état de déficience aggravé pour ces éléments ne peut que perdurer. Les perspectives pour corriger cet état doivent associer plusieurs pratiques agricoles dont une fertilisation minimale azotée et potassique, la mise en place d'un système agro-forestier de palmier à huile et de légumineuses arbustives, et le recyclage des feuilles et éventuellement des rafles lorsque cela est possible.